Nations, États et Nations sans État

Pourquoi parler de « Nations sans État » plutôt que de « minorité nationale » ? Ce terme transcende largement celui de « minorité » qui est souvent trop restrictif et perçu de manière péjorative. Le terme « minorité » définit un état par rapport à une majorité mais pas spécifiquement ce que l’on souhaite être, c’est à dire un peuple minoritaire aux caractéristiques de nation sans avoir les attributs d’un État souverain. En conséquence, définir les termes « Nation » et « Nation sans État » paraît incontournable.

À l’origine, la tribu ?

Le terme minorité renvoie à plusieurs notions qui ont souvent une connotation politique. Lorsqu’on parle de minorité, on pense souvent aux tribus ou aux ethnies. Il s’agit en effet d’un type de minorité, qualifiant plus particulièrement des peuples indigènes ou les peuples premiers. Aussi, les minorités peuvent être autochtones ou allogènes ou, pour simplifier, vivre sur leur propre territoire ou être originaires d’autres contrées et installées durablement dans des pays d’émigration.

La Nation, concept duel

La Nation quant à elle est une communauté humaine ayant la conscience d’une appartenance à un même groupe. Elle s’inscrit dans des limites géographiques définies. C’est ainsi que de nombreuses minorités se définissent comme des peuples ou des nations. Les caractères propres à la nation sont la langue, la culture, la religion, l’histoire… En revanche, certaines nations se reconnaissent comme telles sans être homogènes. En effet, même si la langue constitue un des ciments des nations, certaines d’entres elles sont plurilingues (et respectent cet état de fait) ou constituées de communautés religieuses distinctes.

Le Conseil de l’Europe a essayé de trouver une définition consensuelle du concept de Nation. Cet exercice est compliqué dans la mesure où, selon les langues et les États, ce mot est perçu différemment. Certains pays l’utilisent pour définir la citoyenneté, c’est à dire la relation juridique qu’entretiennent les citoyens avec l’État. D’autres l’utilisent dans le sens d’une communauté ethnolinguistique unie.

En latin toutefois, le mot « natio » est dérivé de « nascere » (naître). Il est utilisé au Moyen Âge pour qualifier l’appartenance à une communauté. Ce concept a évolué, pour être apparenté au XVIIIe siècle à une communauté d’individus jouissant de droits égaux indépendamment de l’origine ethnique. Cette conception est très proche de la définition de l’état nation ou nation civique. À l’opposé, la notion de nation-culturelle est pour sa part une conception définissant la nation comme une entité ethno-linguistique homogène.

Dans ses conclusions concernant la définition du terme « nation », le Conseil de l’Europe considère que ces deux définitions sont « encore valables aujourd’hui ». Certes, mais peut-on imposer à une communauté d’accepter ces deux définitions ? Le texte du Conseil de l’Europe rappelle en effet une citation d’Ernest Renan, auteur breton, considéré comme un des théoriciens de la Nation. « La Nation », c’est un plébiscite de tous les jours ». Cette phrase résume la situation. On ne peut imposer à un peuple de vivre dans un État sans son consentement et pire l’obliger à nier son identité pour être citoyen de cet État, tels les Kurdes en Turquie.

L’État et l’État-nation

L’État est une forme d’organisation politique, reposant par nature sur la souveraineté de la Nation. L’État est le cadre dans lequel le ou les peuples, le ou les nations peuvent légiférer et voter des Lois propres au territoire. L’état-nation caractérise un État souverain constitué objectivement ou artificiellement par une volonté de vivre ensemble. On peut distinguer cette volonté de deux façons. L’État peut imposer un sentiment national. La France, la Grèce et la Turquie sont parmi les exemples les plus significatifs et correspondent à l’archétype de l’état-nation. À l’inverse, un groupe peut se reconnaître en tant que Nation et manifester sa volonté de vivre ensemble en se dotant d’un État. On parlera plus facilement de nation-état.

Les Nations sans État

Une Nation sans État est une Nation non souveraine ne disposant pas de structures étatiques. Les peuples vivent souvent à différents degrés leur attachement à leur Nation originelle. C’est ainsi qu’il existe dans toutes les Nations sans État des sentiments identitaires qu’on peut qualifier de contradictoires.

  • certains ne se sentent exclusivement qu’appartenir à leur Nation d’origine,
  • d’autres au contraire se sentent uniquement membres de l’État dont ils sont citoyens,
  • enfin une frange de la population est souvent partagée entre deux identités, la citoyenneté acquise par l’État et la nationalité qui la rattache à la Nation d’origine. En effet, au sens strict, la citoyenneté (cf. citizenship) est le lien qui relève de l’autorité d’un État, contrairement à la nationalité (cf. nationality) qui est relative à l’appartenance d’une communauté à une nation (sans être obligatoirement constituée en État).

De la nation au nationalisme

Le nationalisme est l’expression qui consiste à imposer sa vision du monde. Il s’exprime soit par le désir d’imposer à l’autre sa vision de la nation, ce qu’on appelle le nationalisme négatif. Il peut aussi se caractériser par le désir d’affirmer son existence en tant que nation. Il s’agit du nationalisme positif. Ces revendications peuvent aboutir à deux scénarios : l’instauration de système d’autonomie régionale ou le désir d’autodétermination.

L’autonomie

L’autonomie permet aux peuples de disposer de pouvoirs propres et leur permet de légiférer. L’autonomie se caractérise par une dévolution des pouvoirs, c’est à dire le transfert de pouvoirs de l’État central à un niveau plus local. C’est ainsi que la Catalogne, le Pays basque, l’Écosse, ou à un moindre degré la Frise et la Sardaigne sont aujourd’hui des régions autonomes. Malheureusement de nombreux peuples ne disposent d’aucun statut permettant d’exprimer leur particularisme. C’est notamment le cas des Nations sans État présentes en France, comme la Bretagne, l’Alsace ou la Corse et en Pologne comme les Cachoubes.

L’autodétermination

Des formes plus radicales de revendications peuvent s’exprimer, comme par exemple la recherche de l’indépendance, c’est à dire le détachement total de l’État central. Il s’agit de séparatisme ou de sécessionnisme. Malgré son caractère souvent subi, il est reconnu en droit international. Le droit à l’autodétermination est inscrit dans la Charte de l’ONU, qui se fixe pour objectif de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». Dans la version anglaise, le terme de self-determination y est plus explicitement inscrit.

Ethnocentrisme, non au dialogue !

D’autres considèrent que ce droit correspond à du communautarisme ou de l’ethnocentrisme, c’est à dire le désir de vivre renfermé sur soi et de refuser le dogme de l’État un et indivisible. Allant jusqu’à nier l’existence des minorités, des identités et des langues régionales, ce comportement tend à imposer une vision sectaire et impériale de la nation.